Céline Bonacina était déjà venue à Charleville-Mézières il y a trois ans, avec son trio aux parfums des îles, pour un concert qui avait conquis le public ardennais. C'est une formation bien différente qu'elle a présentée cette fois, un quartet cosmopolite composé de formidables musiciens :
Au piano, le britannique Gwilym Simcock. On comprend rapidement les raisons qui ont poussé Pat Metheny à l'engager : un lyrisme débridé, un phrasé fluide et lumineux, une fraîcheur spontanée, et une faculté d'écoute lui permettant de réagir avec enthousiasme aux propositions de ses partenaires, sans oublier le choix des harmonies, la construction de ses chorus, progressant parfois d'arpèges minimalistes se développant en strates, pour ouvrir la voie à des envolées lumineuses.
A la contrebasse, le Canadien Chris Jennings, au magnifique son profond et boisé. Le choix de la note juste, jusqu'aux moindres glissendi, sans jamais se départir du sens de la mélodie, tout en affirmant l'assise rythmique. Un contrebassiste élégant et émouvant.
A la batterie l'Israélien Asaf Sirkis, qu'on avait déjà fortement apprécié à deux reprises en compagnie du pianiste John Law (grands souvenirs!). Un set de batterie spécial puisque caisse claire et toms ont été remplacés par 4 tambourins de différentes tailles, des bongos, un darbouka, et même un udu sur certains morceaux. Toutes ces percussions habituellement jouées à la main sont frappées avec différentes baguettes, fagots, balais : un éventail de sons inédit, enrichi par une quantité de cymbales, shime et autres grelots. Autant dire que ce set peu commun apporte un côté mélodique et ethnique. Mais Asaf est avant tout un grand rythmicien, qui apporte son énergie et son groove particulier à cette formation de rêve. Pas étonnant qu'il cite parmi ses batteurs favoris Jeff Ballard, qui apprécie lui aussi d'inclure des percussions traditionnelles dans son set de batterie.
Et enfin, Céline Bonacina, tout aussi efficace au soprano qu'au baryton. Un contraste impressionnant entre sa frêle silhouette et les sons impressionnants qu'elle tire de son mastodonte cuivré, qu'elle sait aussi dompter façon patte de velours. Et ses envolées au soprano décollent littéralement, elle-même semblant en apesanteur si l'on en croit la photo d'André Henrot visible ci-dessous !
La compagnie de ces musiciens exceptionnels a amené Céline Bonacina à leur proposer des compositions sur mesure, avec une écriture plus sophistiquée qu'auparavant. Signalons également deux compositions de ses partenaires : Gwilym Simcock avec un "Shanty" aux arpèges savants, et Chris Jennings avec "Väntan", un morceau aux inspirations scandinaves. Le morceau précédent, signé par Céline dans le même esprit m'a rappelé l'univers de nos amis suédois Elise Einarsdotter et Jonas Knutsson, lequel apprécie lui aussi particulièrement le soprano et le baryton.
Si le groupe affiche une identité indéniable et un son parfaitement identifiable, les compositions proposent une variété de climats, de la sérénité de "Crystal Rain" à la fureur de la bien nommée "Tornade", alternant mélodies poignantes et énergie foisonnante... Quel que soit le genre, l'interplay est au cœur de la démarche. Les musiciens ne se quittent pas des yeux, réagissent instantanément à la moindre sollicitation et nous ont gratifié d'échanges passionnants entre batterie et saxophone, baryton et contrebasse, piano et batterie, mettant en évidence leur talent tout en restant au service des compositions, ou en leur servant d'introduction.
Vous l'aurez compris, on a vécu un grand moment en compagnie d'un groupe merveilleux et d'une Céline Bonacina qui n'a pas fini de nous surprendre, pour mieux nous séduire !
Patrice Boyer